Vous trouverez ci-joint la « Lettre ouverte au Président de la République » signée par l’AMI, l’ANPIHM, le CDTHED et HANDI-SOCIAL. Elle a été rédigée, à l’initiative du CDTHED, après la période de confinement, mais il nous a fallu un temps commun de réflexion et de discussion pour la finaliser. La liste des revendications que nous avons tenu à rappeler au Président de la République n'est évidemment pas exhaustive, et bien d’autres points mériteraient d'y figurer. La discussion reste donc ouverte.

 

Monsieur le Président de la République,

Les personnes « handicapées en grande difficulté d’autonomie » ont dû faire face aux contraintes et au stress générés par la longue période de confinement (du 17 mars au 11 mai). Elles y ont été confrontées comme tous leurs concitoyens, certes, mais avec en plus des difficultés spécifiques majeures, notamment dans la prise en charge de leur dépendance et, pour certaines, de leur solitude. Or, ces difficultés nous les dénonçons depuis de nombreuses années, sans être entendus.

Les associations soussignées vous rappellent par conséquent les revendications suivantes, non exhaustives, à la lumière de situations subies par leurs adhérents pendant le confinement.

1) en matière de santé et droit aux soins

La carence de moyens hospitaliers (manque de personnel, fermeture de lits et d'hôpitaux de proximité) a été largement médiatisée ne serait-ce que pour justifier la décision de confinement. Mais la carence en soins infirmiers à domicile pour les personnes en grande difficulté d’autonomie n'a été que très peu relayée.

Or, depuis la fin des années 90, avec le PSI (Plan de Soins Infirmiers) puis la DSI (Démarche de Soins Infirmiers), les différentes planifications, mesures comptables et complexités administratives ont fait glisser les soins dits "de nursing", pourtant médicalement prescrits, dans une nouvelle catégorie d'actes infirmiers, les AIS (Actes Infirmiers de Soins), moins cotés que les AMI (Actes Médicaux Infirmiers). Les actes sont tous cotés en fonction d'un temps théorique, et l'infirmier a un quota d'actes à ne pas dépasser sous peine de sanctions. Par ailleurs, l'installation des infirmiers nouvellement diplômés a été soumise à condition. Au fil du temps, un certain nombre de cabinets infirmiers n'ont pas trouvé de repreneurs et les infirmiers libéraux en exercice ont dû refuser de prendre en charge les cas les plus lourds. Aujourd'hui, de plus en plus de personnes en grande difficulté d’autonomie ne trouvent plus de cabinets infirmiers pour les prendre en charge au quotidien et doivent chercher des palliatifs. La mise en place du BSI (Bilan de Soins Infirmiers) qui devrait s'appliquer à tous en 2023, aggravera la situation en introduisant un nouveau carcan administratif.

De fait, ces personnes se voient supprimer un droit (la prise en charge par la sécurité sociale des soins infirmiers à domicile effectués par du personnel soignant qualifié) que ne peut remplacer une aide (Majoration pour tierce personne, Prestation de Compensation du Handicap rémunérant du personnel non qualifié), a fortiori une aide bénévole de la famille.

Le danger de cette situation est apparu très clairement pendant le confinement : « Quelqu’un va-t-il pouvoir venir me lever ? Dans quelles conditions de sécurité pour moi et pour lui, vu qu’il devra être dans une proximité physique obligatoire mais que les moyens de protection font défaut ? Je devrai dans certaines circonstances enlever mon masque, faire l'impasse sur les gestes barrières, alors même que je ne pourrai pas être pris en charge par un professionnel de santé en mesure d’évaluer les risques ? ». Ce climat d’insécurité a été renforcé par l’interruption brutale des suivis médicaux.

Nous vous demandons de revenir à une politique de santé qui ne soit pas comptable, mais avec des prises en charge par des professionnels (et non la débrouille quotidienne) et en premier lieu l’abandon du BSI.

2) en matière d'aide humaine

Le volet "aide humaine" de la PCH (Prestation de Compensation du Handicap) sert notamment à couvrir l'emploi d'une tierce personne pour les actes essentiels de la vie, en clair l'entretien personnel, les déplacements et la participation à la vie sociale. Le besoin d'aide humaine est apprécié au moyen d'un référentiel, au plus juste et selon un "saucissonnage" chronométré d'une journée type.

Mais certains actes n'en relèvent pas, bien qu'ils soient indispensables au maintien au domicile et sont dévolus à l'aide ménagère (rangement, ménage, cuisine). D'autre part, certaines règles sont figées. Ainsi par exemple la personne « handicapée » peut se faire accompagner par son auxiliaire de vie pour faire ses courses mais elle ne peut pas lui demander de les faire à sa place.

Pendant le confinement, la situation est devenue absurde. Les personnes « handicapées », ne pouvant respecter les mesures barrières, ont dû rester confinées et n'ont pas pu utiliser les temps d'aide, qui leur sont pourtant attribués, par exemple pour que leurs tierces personnes fassent les courses à leur place....

Nous demandons que soit revu à la hausse le volume d'heures sur la base des véritables besoins de la personne « handicapée », y compris pour le rangement, le ménage et la cuisine. Nous demandons la mise en place d'heures mobilisables par les auxiliaires de vie, par exemple pour faire des courses, que l'on puisse ou non les accompagner.

3) en matière d'aide technique : l'exemple de la fracture numérique

Le confinement a confirmé la nécessité d'avoir accès à internet et aux réseaux sociaux, donc d'avoir accès à un équipement informatique complet, pour travailler à distance, rompre l'isolement, s'informer, se distraire et surtout effectuer la plupart des démarches au quotidien. C'est en effet le mode de communication, permettant une distanciation physique, qui a été privilégié par les employeurs et toutes les administrations et services publics pour leurs relations avec les usagers. C'est, dans la sphère privée, le moyen le plus pratique et ludique qui a permis aux internautes de rester en contact les uns avec les autres et avec l'actualité.

Les personnes « handicapées en grande difficulté d’autonomie » doivent, elles aussi, pouvoir bénéficier de cette technologie. C'est déjà le cas pour celles qui peuvent investir dans du matériel informatique standard et l'adapter à leur handicap. Il existe en effet toute une gamme de commandes spéciales (joysticks, licornes, claviers, commandes vocales, etc...) avec évidemment un coût supplémentaire, que la PCH - volet aide technique peut prendre en charge. À défaut de pouvoir utiliser leur équipement en toute autonomie, elles peuvent, dans une certaine mesure, bénéficier d'un temps de secrétariat pris en charge par la PCH - volet aide humaine.

Mais beaucoup n'ont pas les ressources financières suffisantes pour s'équiper du matériel standard. Faute de prise en charge, elles sont donc exclues des "nouvelles technologies, de l'information et la communication", malgré les 35 articles de la Loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique. Pourtant, au titre de la compensation du handicap et de l'inclusion sociale, cette prise en charge devrait leur être garantie par la PCH - volet aide technique. D'autres ne peuvent pas, malgré les aides techniques disponibles, ou ne souhaitent pas, utiliser ces nouvelles technologies.

Pendant le confinement, la fermeture physique des services publics essentiels en cette période a considérablement aggravé les situations de handicap et d'isolement auxquelles sont confrontées quotidiennement ces personnes, au point de devenir des situations ingérables : comment connaître les rares horaires d'ouverture de ces services lorsqu'ils sont injoignables par téléphone ou qu'un robot renvoie l'usager sur des sites internet auxquels beaucoup n'ont pas accès ?

Nous demandons que soient revus et élargis les critères MDPH pour que soit prise en charge financièrement cette aide technique. Nous demandons que soit prévu un temps de secrétariat conséquent pour aider à l'utilisation et à la maintenance des technologies de communication ainsi que pour la formation à ces technologies. Nous demandons le maintien voire la mise en place effective d'accueils physiques ou téléphoniques au niveau de chaque service administratif, indispensables pour tous, que l'on utilise ou non les technologies modernes de communication.

4) en matière de ressources

L’augmentation des prix lors du confinement a posé de graves problèmes financiers, multipliés dans les DOM-TOM, pour des personnes dont le revenu est très majoritairement inférieur au seuil de pauvreté.

Pour rappel : l’AAH (Allocation pour Adultes Handicapés) a été revalorisée et a atteint au 1er avril 2020 la somme royale de 902,70 € ! Elle reste donc en dessous du seuil de pauvreté de 1015 €. Par ailleurs, son montant dépend, pour les couples, des revenus du conjoint.

Le complément de ressources (179,31 €) a été supprimé le 1er décembre 2019 pour les éventuels nouveaux bénéficiaires et son extinction est programmée dans 10 ans pour les anciens bénéficiaires. Ce complément formait avec l’AAH la « garantie de ressources » pour les personnes lourdement « handicapées », ne pouvant pas travailler, mais faisant l’effort de vivre de manière autonome.

Nous rappelons aussi que nombre de travailleurs handicapés ne peuvent vivre du seul fruit de leur travail ou de leur retraite.

Nous demandons une augmentation de l’AAH et des minimums de pensions à hauteur du SMIC indexé au minimum sur l’inflation afin d’avoir un pouvoir d’achat acceptable et garanti à tout citoyen. Nous demandons la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint comme le prévoit la proposition de loi pour l'individualisation de l'AAH

5) en matière de dé-confinement

Le dé-confinement a débuté le 11 mai. Les personnes « handicapées et en très grande difficulté d’autonomie » sont restées pour la plupart confinées plus longtemps, et certaines sont toujours soumises aux difficultés que nous venons d'évoquer.

Pour ce qui concerne le port du masque en certains lieux, son obligation exige de prévoir un équipement alternatif qui permette la lecture labiale. Des prototypes existent. Cela ne concerne pas seulement les personnes sourdes ou malentendantes et leurs interlocuteurs, mais aussi celles qui ont des troubles de l'élocution et qui, avec le masque, ont davantage de difficultés à se faire comprendre.

Afin de permettre ce dé-confinement, le Gouvernement a encouragé, avec un apport de 20 millions d’euros, les municipalités à "réaménager en urgence l’espace public pour respecter les règles de distanciation sociales". Le constat fait à cette occasion a été pour nous sans surprise : les trottoirs sont trop souvent réduits à la portion congrue car occupés par des terrasses, des poubelles, du mobilier urbain… D'où la solution préconisée d'aménagements temporaires et rapides (suppression de places de stationnement pour élargir les trottoirs, transformation de files de circulation voitures en pistes cyclables...) pour se réapproprier l'espace urbain au motif que : "pour les personnes handicapées et les personnes âgées, il y a aujourd’hui urgence à rééquilibrer le partage de l’espace public en donnant plus de place aux piétons parce qu’elles sont particulièrement dépendantes de ce mode de transport". Or, aujourd'hui, un clou chassant l'autre, pour favoriser la reprise de l'économie, les terrasses décriées sont autorisées à s'agrandir...

Nous demandons des mesures véritablement réfléchies et concertées et non des réponses opportunistes au coup par coup.

En conclusion :

Le confinement a fait naître un élan spontané de solidarité et de générosité envers le personnel soignant et tous les travailleurs qui semblaient "invisibles" auparavant, mais aussi envers ses proches voisins. Les personnes « handicapées et en grande difficulté d’autonomie » en ont souvent été bénéficiaires et lorsque c'était possible, elles ont, à leur tour manifesté leur soutien. Un élan précieux et réconfortant mais qui a ses limites.

Depuis, nous avons assisté à une recrudescence opportuniste d'appels aux dons, dons en argent essentiellement, mais pas uniquement, dons directs par envoi de chèques, dons indirects par reversement d'un pourcentage au bénéficiaire lors d'un achat, au profit d'organismes ou d'associations, au nom de la solidarité, par exemple avec les personnes « handicapées »

Or, pour nous, la véritable solidarité ne peut-être que la solidarité de l'État et des régimes contributifs de protection sociale. Eux seuls, par le principe de compensation, permettent de garantir des conditions de vie dignes et de reconnaître, dans chaque personne « handicapée », même en très grande difficulté d’autonomie, un citoyen acteur de son destin, avec des devoirs mais aussi des droits. Il vous appartient de les faire respecter afin qu'il puisse participer à l'avenir commun de la nation.

Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos plus respectueuses salutations.

 

Les associations signataires

 

AMI (Association nationale de défense des Malades, Invalides et handicapés)

ANPIHM (Association Nationale Pour l’Intégration des personnes dites Handicapées Moteurs)

CDTHED (Comité pour le Droit au Travail des Handicapés et l’Égalité des Droits)

HANDI-SOCIAL (Association de défense des droits des personnes malades et/ou handicapées) 

 

Pour contact :

AMI : François Couturier, courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., tél : 07 68 03 25 69

ANPIHM : Vincent Assante, courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., tél : 06 07 97 94 69

CDTHED : Roland Cordier, courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., tél : 04 76 84 62 95

HANDI-SOCIAL : Odile Maurin, courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., tél : 06 68 96 93 56 (de 11h à 21h)