Au président de la République, aux députés et aux sénateurs, au sujet de la retraite anticipée pour handicap, avec majoration de pension.

Le futur projet de loi portant réforme des retraites doit être examiné en Conseil des Ministres ce vendredi 24 janvier 2020 avant son examen en février par l'Assemblée nationale et en mars par le Sénat.

L'axe de cette réforme est l’instauration d’un système de retraite par points. Or la retraite par points est un système individuel où on ne reçoit qu’en fonction de ce que l’on a personnellement versé, à la différence du système actuel qui reste basé, malgré les réformes successives, sur la solidarité entre les générations. Ce système individuel ne garantit plus le droit à la majoration de pension qui compense le raccourcissement de la carrière professionnelle consécutive au handicap. C’est déjà le cas dans le régime de retraite complémentaire (par points) obligatoire du secteur privé AGIRC-ARRCO : le travailleur handicapé peut, sous réserve de remplir des conditions draconiennes, partir en retraite dès l’âge de 55 ans, mais sa retraite complémentaire n’est pas majorée pour autant, à la différence de ce qui se passe dans le régime de base de l’Assurance Retraite.

Le Comité pour le Droit au Travail des Handicapés et l'Égalité des Droits (CDTHED) rappelle que le principe de cette majoration de pension a été une avancée majeure, apportée par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

 Par ailleurs, les conditions pour bénéficier de la retraite anticipée pour handicap sont très restrictives. Il faut justifier d’une certaine durée d’assurance (variable selon l’année de naissance et la date d’effet du départ - à titre indicatif : 129 trimestres validés, autrement dit 32 ans, pour les natifs de 1964 avec un départ à 55 ans) et d’un certain degré de handicap durant l’intégralité de cette durée d’assurance. Actuellement, il faut pouvoir justifier, pour tous les trimestres demandés, d'un taux d'incapacité d’au moins 50 % (ou d'une équivalence). La RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) continue toutefois à être acceptée pour les années antérieures à 2016.

 Nous sommes régulièrement saisis par des travailleurs handicapés, confrontés à une impossibilité d'en bénéficier : soit parce qu'ils n'ont pas pu valider suffisamment de trimestres, c'est le cas par exemple lorsque le handicap est survenu en cours de vie professionnelle ou lorsque l'entrée dans le monde du travail a été tardif à cause du handicap, soit parce qu'ils ne peuvent produire pour certaines périodes, les justificatifs administratifs de handicap requis alors que leur handicap est confirmé par leurs dossiers médicaux et qu'ils ont validé la durée d'assurance exigée.

 Nous renouvelons notre revendication d'une retraite avec anticipation proportionnelle au nombre d'années d'activité exercée en étant handicapé, avec majoration de la pension pour les périodes considérées.

D'autre part, nous vous alertons sur les injustices et régressions relevées au fil des réformes pour ce qui concerne les justificatifs de handicap :

- les titulaires de la RQTH ont été exclus du dispositif par la loi du 20 janvier 2014, avec effectivité au 1er janvier 2016. Ce critère RQTH est pourtant un critère légitime. Il atteste pour l’intéressé que « les possibilités d’obtenir ou de conser­ver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions physique, senso­rielle, mentale ou psychique » (définition par le Code du travail). D'ailleurs, il permet, encore aujourd'hui, aux employeurs de répondre à leur obligation légale d’embauche de personnes handicapées.

 - le taux d'incapacité (IP) d'au moins 50 %, qui en soi représente une avancée que nous saluons par rapport au taux d'au moins 80 % exigé avant la loi du 20 janvier 2014, n'est jamais obtenu en tant que tel auprès de la MDPH mais il n'est évalué qu'à l'occasion d'une demande de prestation, en particulier la seule prestation dont le droit est ouvert à partir du taux d'IP de 50 % : l'AAH pour restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi. Le travailleur handicapé va donc devoir demander cette AAH, prestation à laquelle il sait ne pas avoir droit puisqu'en général il est dans l'emploi, dans le seul but d'obtenir l'évaluation de son taux d'IP. Ce taux est généralement notifié sans date de validité car la prestation étant refusée, elle n'a elle-même aucune date de validité. Le taux n'est donc valable que pour un an, et le travailleur handicapé se trouve contraint de renouveler sa demande chaque année.

 - la prise en compte des périodes lacunaires (périodes non couvertes par des notifications de handicap) est extrêmement aléatoire, malgré les dossiers médicaux qui devraient faire foi. Les quelques cas réglés l'ont été devant les tribunaux et, pour une part infime, par une Commission ad hoc (voir point suivant). Ces périodes lacunaires pénalisent au premier plan les titulaires de la RQTH car beaucoup, bien que confrontés à un handicap dès leur naissance ou depuis le début de leur carrière professionnelle, n'ont pas fait de demande (ou ne l'ont pas renouvelée dans les délais) auprès de la COTOREP puis de la MDPH. En effet, il n'y avait aucune utilité à le faire avant la loi du 9 novembre 2010 voire même 2012 pour la Fonction publique. Bien au contraire même, car à une certaine époque, il valait mieux cacher son handicap pour ne pas se voir fermer le monde du travail.

Les périodes lacunaires pénalisent aussi les titulaires d'un taux d'IP d'au moins 50 %, obligés de déposer un dossier à la MDPH tous les ans avec le risque de périodes intermédiaires non couvertes à cause de la lourdeur administrative, du manque de clarté de la démarche et du délai de traitement des dossiers.

 - les critères de la Commission nationale instaurée par l’article 45 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017, pour examiner les périodes lacunaires, sont très sélectifs, aggravés encore par le décret du 10 mai 2017. La Commission examine uniquement les dossiers des travailleurs présentant un taux d’IP d’au moins 80 % lors de leur demande de retraite, même si, pour leur carrière, c’est bien le taux classique de 50 % qui est pris en compte. De plus, elle ne peut évaluer, a posteriori, que le taux d’IP et non la RQTH et les périodes de handicap non justifiées ne doivent représenter qu’une « fraction » des durées d’assurance exigées (30%). De plus il n'est pas prévu de procédure explicite d'appel.

 Le CDTHED dénonce toutes ces inégalités de traitement, liées pour certaines à la complexité et aux incohérences de la règlementation et vous rappelle ses propositions pour permettre un accès plus juste et équitable à la retraite anticipée pour handicap, avec majoration de pension :

- Rétablir la prise en compte du critère RQTH comme c’était le cas avant la loi du 20 janvier 2014. Ceci ne s’oppose en rien au fait d’avoir abaissé le taux minimum d’IP exigé de 80 à 50 %.

 - Instaurer une procédure d'évaluation directe du taux d'IP (avec durée de validité) par les MDPH, pour faire valoir ses droits éventuels à la retraite anticipée pour handicap et non seulement dans le cadre d'une demande de prestation. Préciser que les notifications MDPH de taux d’IP compris entre 50 et 79 % doivent être considérées comme étant attribuées à titre définitif, sauf mention contraire explicite ou révision ultérieure.

 - Ouvrir la possibilité de justifier le handicap et son ancienneté par tout moyen de forme ou de fond (dossiers médicaux par exemple), avec si nécessaire un examen par des Commissions véritablement indépendantes.

 - Revoir les critères de la Commission nationale créée par la loi de 2016 : condition de saisine de la commission nécessitant d’être atteint d'une IP d'au moins 50 % (au lieu de 80 %) au moment de la liquidation de la retraite, validation de la totalité des périodes de services susceptibles d'être validés, en supprimant la limitation fixée arbitrairement à 30 % de la durée totale d'assurance requise, et mise en place d'une procédure explicite d'appel.

 Les travailleurs handicapés sont confrontés à une inégalité professionnelle car le chômage les frappe plus durement que les autres travailleurs, la maladie et le handicap les usent aussi plus vite malgré leur motivation. La retraite anticipée pour handicap avec majoration de pension permet de compenser en partie les conséquences d'une carrière plus courte. Mais pour ceux qui n'ont pas accès à cette retraite anticipée, faute d'avoir le bon papier au bon moment, et ce malgré un handicap attesté médicalement, l'inégalité professionnelle se prolonge par une inégalité devant la retraite. Nous vous demandons de prendre les dispositions nécessaires pour corriger ces réglementations génératrices d'injustices.