Lettre ouverte envoyée à chacun des 577 députés de l'Assemblée Nationale :

 

Mesdames, Messieurs les Députés,

Vous êtes appelés à examiner en seconde lecture, à partir du lundi 28 novembre, le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale.

À cette occasion, nous voulons attirer tout particulièrement votre attention sur l’article 30 bis, ajouté au texte initial sur proposition de la ministre des Affaires sociales, Madame Marisol Touraine, article qui a été légèrement amendé par le Sénat :

Le paragraphe 2 de la sous-section 4 de la section 1 du chapitre Ier du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est complétée par un article L. 161-21-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 161-21-1. – L’assuré qui justifie des durées d’assurance mentionnées au premier alinéa des articles L. 351-1-3 et L. 634-3-3, du III des articles L. 643-3 et L. 723-10-1 du présent code et de l’article L. 732-18-2 du code rural et de la pêche maritime, ainsi qu’au 5° du I de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraites sans pouvoir attester, sur une fraction de ces durées, de la reconnaissance administrative de l’incapacité requise au premier alinéa de l’article L. 351-1-3 du présent code et qui est atteint d’une incapacité permanente d’au moins 80 % au moment de la demande de liquidation de sa pension peut obtenir, sur sa demande, l’examen de sa situation par une commission placée auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés.

« Cette commission est saisie par la caisse ou le service chargé de la liquidation de la pension de retraite. L’examen de la situation est fondé sur un dossier à caractère médical transmis par l’assuré permettant d’établir l’ampleur de l’incapacité, de la déficience ou du désavantage pour les périodes considérées. L’avis motivé de la commission est notifié à l’organisme débiteur de la pension, auquel il s’impose.

« Les membres de la commission exercent leur fonction dans le respect du secret professionnel et du secret médical.

« Un décret détermine les modalités d’application du présent article et fixe, notamment, le fonctionnement et la composition de la commission, qui comprend au moins un médecin-conseil et un membre de l’équipe mentionnée à l’article L. 146-8 du code de l’action sociale et des familles, ainsi que la fraction des durées d’assurance requises susceptible d’être validée par la commission.

« Les attributions faites avant le 1er janvier 2016 de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé mentionnée à l’article L. 5213-1 du code du travail peuvent, sur demande de l’intéressé, donner lieu à une évaluation de son incapacité permanente par la commission mentionnée à l’article L. 241-5 du code de l’action sociale et des familles. »

Nous nous félicitons du fait que, pour la première fois, le Gouvernement accepte le principe de la reconnaissance a posteriori du handicap pour évaluer le droit à la retraite anticipée, une revendication portée depuis plusieurs années par le CDTHED avec le soutien de nombreux parlementaires de tous horizons, dont plusieurs d’entre vous.

Toutefois, cet article est très loin de répondre aux légitimes aspirations des intéressés :

- Il réintroduit comme condition à remplir au moment de la demande de liquidation de la pension de retraite l’ancien seuil de taux d’IP (Incapacité Permanente) de 80 % (Carte d’invalidité ou équivalent), ce qui est incohérent par rapport à la loi du 20 janvier 2014 qui a abaissé le taux minimum requis de 80 à 50 %.

- Il crée une commission nationale placée auprès de la CNAV, ce qui pose une série de problèmes : complications administratives et engorgement des dossiers (une seule commission pour toute la France + création ex nihilo), partialité (la CNAV est juge est partie), inadaptation au problème (les critères d’évaluation du handicap à la Sécurité Sociale ne sont pas les mêmes que ceux des Maisons Départementales du Handicap…), absence de procédure d’appel devant une juridiction indépendante, etc.

- Il exclut toujours les titulaires actuels et anciens de la RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleurs Handicapés) ainsi que la plupart des bénéficiaires de l’OETH (Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés) alors que ces mêmes travailleurs, du fait de leur handicap, sont comptés dans les quotas permettant aux entreprises et administrations d’éviter de payer une redevance. En outre, il est beaucoup plus difficile d’évaluer a posteriori un taux d’IP qu’une RQTH…

- Il ne s’applique qu’aux travailleurs handicapés qui ont eu durant la majeure partie de leur carrière professionnelle une notification de taux d’IP (Incapacité Permanente) de 50 %, situation rarissime puisque le seuil de 50 % n’était (et n’est encore) généralement évalué que pour les personnes handicapées sans emploi qui, n’étant pas titulaires de la Carte d’invalidité, demandaient à bénéficier de l’AAH (Allocation aux Adultes Handicapés) au titre de la restriction substantielle et durable de l’accès à l’emploi. Et dans le cas, peu fréquent, où des travailleurs handicapés ont bénéficié de notifications de taux d’IP de 50 %, elles sont rarement assorties d’une durée de validité.

- Dans l’exposé sommaire de l’amendement 741 qui a servi de base à cet article, la Ministre a écrit : « À cet effet, le présent amendement institue une commission nationale dont la mission est d’établir, lorsque l’assuré ne peut attester administrativement de son incapacité permanente sur une période représentant jusqu’à 20 % de la durée d’assurance requise, la réalité du taux d’incapacité permanente sur cette période, alors que l’assuré possède les justificatifs nécessaires sur le reste de sa carrière pour ouvrir droit à la retraite anticipée des travailleurs handicapés. » (NB : ce n’est pas écrit dans l’amendement lui-même, Mme Touraine prévoit sans doute de l’inclure dans le décret d’application.)

Cette condition supplémentaire, si elle est mise en œuvre, va restreindre encore plus les possibilités ouvertes aux intéressés de justifier les périodes manquantes, précisément parce que, ainsi que nous l’avons maintes fois constaté, les notifications d’IP 50 % concernant des personnes handicapées en activité professionnelle n’étaient pratiquement jamais assorties d’une durée de validité et ne peuvent donc compter que pour une seule année... On va finir par se retrouver dans une situation où cette fameuse commission n’aura aucun cas à examiner, faute de trouver des travailleurs handicapés qui puissent passer par ce trou d’aiguille !

Mesdames, Messieurs les Députés,

Sur le fond, il convient de rappeler que la Loi du 20 janvier 2014 « garantissant l’avenir et la justice du système de retraite » a modifié les conditions pour pouvoir bénéficier de la retraite anticipée des travailleurs handicapés avec majoration de la pension de base en diminuant le taux d’IP requis de 80 à 50 %, et en supprimant, à compter du 1er janvier 2016 la prise en compte du critère RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) introduit par la « réforme des retraites » du 9 novembre 2010 (les périodes RQTH antérieures restent acquises). Si les associations, dont le CDTHED, ont approuvé la baisse du seuil d’IP, toutes ont condamné la suppression du critère RQTH (cf. notre pétition « pour le Droit à une véritable retraite anticipée des travailleurs handicapés et des aidants de personnes handicapées dépendantes » qui a recueilli à ce jour 3544 signatures dans toute la France : 2406 sur internet + 1138 sur papier.).

En effet, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le critère du seuil d’IP de 50 % est beaucoup plus étroit et difficile à justifier que le critère RQTH… Il est d’ailleurs paradoxal de voir Mme Touraine employer dans sa réponse-type aux questions écrites des parlementaires l’expression « RATH (Retraite Anticipée des Travailleurs Handicapés) » pour tenter de justifier le refus de la RA (Retraite Anticipée) aux TH (Travailleurs Handicapés) !

NB : À ce sujet, chacun peut vérifier en consultant les JO du Sénat et de l’Assemblée Nationale que le gouvernement répond toujours la même chose aux sénateurs et députés, quelle que soit la question… Pour une analyse complète des demi-vérités et contre-vérités de Mme Touraine, nous vous invitons à consulter notre communiqué du 25 octobre 2016.

Mesdames, Messieurs les Députés,

En conclusion, nous vous demandons de déposer et défendre des amendements au PLFSS visant à :

- Enlever de l’article 30 bis la condition d’une IP d’au moins 80 % au moment de la demande de liquidation de la pension de retraite (alinéa 2), à fin d’harmonisation avec le critère de la loi du 20 janvier 2014.

- Confier l’examen des demandes à une instance indépendante des caisses et services de retraite, par exemple la CDAPH (Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées) de chaque département.

- Préciser que les notifications de taux d’IP égales ou supérieures à 50 % doivent être considérées comme étant attribuées à titre définitif, sauf mention contraire explicite ou révision ultérieure – ce qui facilitera grandement le travail des CDAPH.

Remarque : Actuellement, les travailleurs handicapés qui ne sont pas titulaires d’une Carte d’invalidité sont obligés de refaire un dossier chaque année pour obtenir une IP à 50 % !)

- Faire évaluer a posteriori par la commission non seulement le taux d’incapacité permanente, mais aussi la qualité de travailleur handicapé mentionnée à l’article L. 5213-1 du Code du travail, toujours à fin d’harmonisation avec la loi du 20 janvier 2014 qui prévoit que le critère RQTH doit être pris en compte pour les périodes antérieures au 1er janvier 2016.

- Prévoir une procédure de recours devant une juridiction indépendante.

- Assurer que l’ensemble des dispositions de l’Article 30 bis et des amendements adoptés au sujet de la retraite anticipée des travailleurs handicapés, ainsi que les décrets et arrêtés qui en découlent, s’appliquent à tous les régimes : salariés, fonctionnaires, indépendants.

2°) Par ailleurs, nous vous demandons d’intervenir, soit par amendement au PLFSS, soit par dépôt d’une proposition de loi, pour :

- Rétablir la prise en compte du critère RQTH pour la retraite anticipée des travailleurs handicapés avec majoration de la pension de retraite, comme c’était le cas avant la loi du 20 janvier 2014.

Remarque : Ceci ne s’oppose en rien au fait d’abaisser le taux minimum d’IP exigé de 80 à 50 % (encore que nous considérions par ailleurs que ce seuil est trop élevé).

- Ouvrir la possibilité de justifier, pour le droit à la retraite anticipée, le handicap et son ancienneté par tout moyen de forme (RQTH, carte « station debout pénible », notification d’invalidité 1ère catégorie, pension militaire d’invalidité, rente pour accident du travail ou maladie professionnelle, etc.) et non pas en se basant uniquement sur le critère du taux d’IP égal ou supérieur à 50 %.

Remarque : En toute justice, tous les bénéficiaires de l’OETH (Obligation d’Emploi de Travailleurs Handicapés) comptés par les entreprises et les administrations pour éviter de payer une redevance devraient bénéficier de ce même droit : ce qui est pris en compte pour les employeurs devrait l’être aussi pour les employés !

Nous vous demandons de bien vouloir nous communiquer vos amendements afin que nous puissions en informer les travailleurs handicapés et l’opinion publique lors de la Conférence de Presse que nous tiendrons mardi 29 novembre à 10h30.

Nous nous tenons à votre disposition pour toute précision complémentaire.

Dans l’attente, nous vous adressons nos sincères salutations

Pour le CDTHED, le Président : Henri Galy

 

Pièce jointe :

- Communiqué CDTHED du 25 octobre 2016 : « Retraite anticipée des travailleurs handicapés et RQTH : les demi-vérités de Marisol Touraine ».