Mise à jour : cette lettre, d'abord adressée à la Commission des Affaires sociales le 8 novembre, a été envoyée le 10 novembre à chacun des 348 sénateurs.

 

Mesdames, Messieurs les Sénateurs,

Vous êtes appelés à examiner demain mercredi 9 novembre le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale. À cette occasion, nous voulons attirer tout particulièrement votre attention sur l’article 30 bis, ajouté au texte initial sur proposition de la ministre des Affaires sociales, Madame Marisol Touraine :

Article 30 bis (nouveau)

L’article L. 351-1-3 du code de la sécurité de la sociale est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« L’assuré qui justifie des durées d’assurance mentionnées au premier alinéa sans pouvoir attester, sur une fraction de ces durées, de la reconnaissance administrative de l’incapacité requise au même alinéa, et qui est atteint d’une incapacité permanente d’au moins 80 % au moment de la demande de liquidation de sa pension, peut obtenir l’examen de sa situation par une commission placée auprès de la caisse nationale d’assurance vieillesse.

« Cette commission est saisie par la caisse chargée de la liquidation de la pension de retraite. L’examen de la situation est fondé sur un dossier à caractère médical transmis par l’assuré permettant d’établir l’ampleur de l’incapacité, déficience ou désavantage pour les périodes considérées. L’avis motivé de la commission est notifié à l’organisme débiteur de la pension, auquel il s’impose.

« Les membres de la commission exercent leur fonction dans le respect du secret professionnel et médical.

« Un décret détermine les modalités d’application du présent article et fixe, notamment, le fonctionnement et la composition de la commission, qui comprendra au moins un médecin-conseil et un membre de l’équipe mentionnée à l’article L. 146-8 du code de l’action sociale et des familles, ainsi que la fraction des durées d’assurance requises susceptible d’être validée par la commission. »

Nous nous félicitons du fait que, pour la première fois, le Gouvernement accepte le principe de la reconnaissance a posteriori du handicap pour évaluer le droit à la retraite anticipée, une revendication portée depuis plusieurs années par le CDTHED avec le soutien de nombreux parlementaires de tous horizons, dont plusieurs d’entre vous.

Toutefois, cet amendement est très loin de répondre aux légitimes aspirations des intéressés :

- Il exclut toujours les titulaires actuels et anciens de la RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleurs Handicapés) ainsi que la plupart des bénéficiaires de l’OETH (Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés) alors que ces mêmes travailleurs, du fait de leur handicap, sont comptés dans les quotas permettant aux entreprises et administrations d’éviter de payer une redevance.

- Il ne s’applique qu’aux travailleurs handicapés qui ont eu durant la majeure partie de leur carrière professionnelle une notification de taux d’IP (Incapacité Permanente) de 50 %, situation rarissime puisque le seuil de 50 % n’était (et n’est encore) généralement évalué que pour les personnes handicapées sans emploi qui, n’étant pas titulaires de la Carte d’invalidité, demandaient à bénéficier de l’AAH (Allocation aux Adultes Handicapés) au titre de la restriction substantielle et durable de l’accès à l’emploi. Et dans le cas, peu fréquent, où des travailleurs handicapés ont bénéficié de notifications de taux d’IP de 50 %, elles sont rarement assorties d’une durée de validité.

- Il réintroduit comme condition à remplir au moment de la demande de liquidation de la pension de retraite l’ancien seuil de taux d’IP de 80 % (Carte d’invalidité ou équivalent).

- Dans l’exposé sommaire de l’amendement 741 qui a servi de base à cet article, la Ministre a écrit : « À cet effet, le présent amendement institue une commission nationale dont la mission est d’établir, lorsque l’assuré ne peut attester administrativement de son incapacité permanente sur une période représentant jusqu’à 20 % de la durée d’assurance requise, la réalité du taux d’incapacité permanente sur cette période, alors que l’assuré possède les justificatifs nécessaires sur le reste de sa carrière pour ouvrir droit à la retraite anticipée des travailleurs handicapés. » (NB : ce n’est pas écrit dans l’amendement lui-même, Mme Touraine prévoit sans doute de l’inclure dans le décret d’application.)

Cette condition supplémentaire, si elle est mise en œuvre, va restreindre encore plus les possibilités ouvertes aux intéressés de justifier les périodes manquantes...

On va finir par se retrouver dans une situation où cette fameuse commission n’aura aucun cas à examiner, faute de trouver des travailleurs handicapés qui puissent passer par ce trou d’aiguille !

Mesdames, Messieurs les Sénateurs,

Sur le fond, il convient de rappeler que la Loi du 20 janvier 2014 « garantissant l’avenir et la justice du système de retraite » a modifié les conditions pour pouvoir bénéficier de la retraite anticipée des travailleurs handicapés avec majoration de la pension de base en diminuant le taux d’IP requis de 80 à 50 %, et en supprimant, à compter du 1er janvier 2016 la prise en compte du critère RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) introduit par la « réforme des retraites » du 9 novembre 2010 (les périodes RQTH antérieures restent acquises). Si les associations, dont le CDTHED, ont approuvé la baisse du seuil d’IP, toutes ont condamné la suppression du critère RQTH (cf. notre pétition « pour le Droit à une véritable retraite anticipée des travailleurs handicapés et des aidants de personnes handicapées dépendantes » qui a recueilli à ce jour 3467 signatures dans toute la France : 2329 sur internet + 1138 sur papier.).

En effet, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le critère du seuil d’IP de 50 % est beaucoup plus étroit et difficile à justifier que le critère RQTH… Il est d’ailleurs paradoxal de voir Mme Touraine employer dans sa réponse-type aux questions écrites des parlementaires l’expression « RATH (Retraite Anticipée des Travailleurs Handicapés) » pour tenter de justifier le refus de la RA (Retraite Anticipée) aux TH (Travailleurs Handicapés) !

NB : À ce sujet, chacun peut vérifier en consultant les JO du Sénat et de l’Assemblée Nationale que le gouvernement répond toujours la même chose aux sénateurs et députés, quelle que soit la question…

Pour une analyse complète des demi-vérités et contre-vérités de Mme Touraine, nous vous invitons à consulter notre communiqué du 25 octobre 2016.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs,

En conclusion, nous vous demandons de déposer des amendements au PLFSS visant à :

1°) Rétablir la prise en compte du critère RQTH pour la retraite anticipée des travailleurs handicapés avec majoration de la pension de retraite, comme c’était le cas avant la loi du 20 janvier 2014.

Remarque : Ceci ne s’oppose en rien au fait d’abaisser le taux minimum d’IP exigé de 80 à 50 % (encore que nous considérions par ailleurs que ce seuil est trop élevé).

2°) Ouvrir la possibilité de justifier, pour le droit à la retraite anticipée, le handicap et son ancienneté par tout moyen de forme (RQTH, carte « station debout pénible », notification d’invalidité 1ère catégorie, pension militaire d’invalidité, rente pour accident du travail ou maladie professionnelle, etc.) et non pas en se basant uniquement sur le critère du taux d’IP égal ou supérieur à 50 %.

Remarque : En toute justice, tous les bénéficiaires de l’OETH (Obligation d’Emploi de Travailleurs Handicapés) comptés par les entreprises et les administrations pour éviter de payer une redevance devraient bénéficier de ce même droit : ce qui est pris en compte pour les employeurs devrait l’être aussi pour les employés !

3°) Étendre les compétences de la commission proposée par Mme Touraine à l’examen de la situation de tous les travailleurs handicapés comptant des périodes lacunaires dans la justification administrative de leur handicap antérieurement à leur demande de départ en retraite anticipée, et on pas uniquement à l’examen de la situation des titulaires d’une notification de taux d’IP.

4°) Enlever la condition d’une IP d’au moins 80 % au moment de la demande de liquidation de la pension de retraite.

5°) Obtenir des garanties sur l’indépendance du fonctionnement de cette commission vis-à-vis des organismes appelés à verser les pensions de retraite, et prévoir une possibilité de recours devant une juridiction impartiale.

6°) Préciser que les notifications de taux d’IP égales ou supérieures à 50 % doivent être considérées comme étant attribuées à titre définitif, sauf mention contraire explicite ou révision ultérieure.

7°) Assurer que l’ensemble des dispositions de l’Article 30 bis et des amendements adoptés au sujet de la retraite anticipée des travailleurs handicapés, ainsi que les décrets et arrêtés qui en découlent, s’appliquent à tous les régimes : salariés, fonctionnaires, indépendants.

Comptant sur votre engagement, nous vous adressons nos sincères salutations.

Pour le CDTHED, le Président : Henri Galy

 

PS : Bien évidemment, nous nous adresserons également aux députés lors du (probable) examen du PLFSS en 2ème lecture.

 

Pièces jointes :

- Pétition « pour le Droit à une véritable retraite anticipée des travailleurs handicapés et des aidants de personnes handicapées dépendantes ».

- Communiqué CDTHED du 25 octobre 2016 : « Retraite anticipée des travailleurs handicapés et RQTH : les demi-vérités de Marisol Touraine ».

 

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