Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,

Vous êtes invités par le gouvernement à débattre et à voter son « Projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées » : http://www.senat.fr/leg/pjl13-447.html.

Sous prétexte de l’urgence et de la technicité de la question, qui a pourtant fait l’objet de rapports innombrables depuis des décennies, le gouvernement veut légiférer par ordonnances… Or, si on peut penser que la création des Ad’AP (Agendas d’Accessibilité Programmée), qui en constituent la pièce maîtresse, présente une initiative intéressante, leur calendrier d’exécution est insuffisamment resserré et susceptible d’être rallongé. Surtout, le refus gouvernemental d’appliquer des sanctions dissuasives ouvre la porte à un refus généralisé de mise en accessibilité des ERP (Établissements Recevant du Public), en particulier de la part de ceux qui ne voient toujours pas d’intérêt à ce que les handicapés et les personnes âgées vieillissantes fréquentent leurs locaux.

Un projet « consensuel »… rejeté par les intéressés !

À cette occasion, le CDTHED tient à vous rappeler que, contrairement à ce qu’a prétendu devant la Commission des Affaires sociales du Sénat le 14 avril, la rapporteure et inspiratrice de ce Projet de Loi, Mme Claire-Lise Campion, ce projet ne fait pas l’objet d’un consensus, bien au contraire. Ainsi, le 10 mars 2014, le CNCPH (Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées) a refusé de donner un avis favorable, même « avec réserves »… Le CNCPH s’est contenté d’en « prendre acte », tout en adoptant une motion demandant expressément l’abaissement du seuil obligatoire d’installation d’un ascenseur dans le cadre bâti d’habitation neuf à R+3, et le renforcement du contenu des Ad’AP et des délais raccourcis d’exécution. 

Depuis cette date, on ne compte plus les déclarations et pétitions hostiles à ce projet. Plusieurs rassemblements ont eu lieu à Rennes, Toulouse, Mont-de-Marsan, Vannes, etc. Tous avancent des slogans tels que : « Non au report de 2015 ! »,

Pourquoi cette colère des handicapés et des associations ? Comme le rappelle la Fédération des Aveugles de France dans son communiqué en date du 27 février 2014 : « si la loi du 11 février 2005 a précisé un certain nombre d’éléments factuels, c’est la loi d’orientation du 30 juin 1975 qui a fixé l’obligation de l’accessibilité. Ce n’est donc pas 10 ans, mais 40 ans que les divers acteurs publics et privés ont eus devant eux pour faciliter l’accessibilité du cadre bâti et non bâti aux personnes handicapées. »

Le recours aux ordonnances pour faire passer des mesures impopulaires au profit des lobbies

Certes, la version présentée aujourd’hui devant votre assemblée présente quelques modifications par rapport au Projet présenté le 10 mars au CNCPH… Mais il ne s’agit que de précisions juridiques, dont certaines ne font qu’aggraver nos craintes. Quoi qu’il en soit, ce projet prépare une véritable remise en cause des acquis en matière d’accessibilité, et il dynamite l’échéance de 2015 :

En faisant du critère financier un élément important des motifs de dérogation, ce qui laissera la voie ouverte à de nombreux abus. On s’en remet au mode déclaratif, pratiquement impossible à contrôler tant au niveau de la forme que du fond…

En laissant les responsables des transports, de continuer à déroger à l’accessibilité en mettant en avant le critère « prioritaire ». Ainsi les gares, même aménagées et accessibles au plan architectural, continueront à être inaccessibles dans la pratique, du fait de l’absence de moyens humains. Les moyens dits « de substitution » risquent d’être la règle. Par ailleurs, les métros de Paris et Marseille resteront inaccessibles aux usagers handicapés, qui pourtant paient leurs impôts, comme les autres…

En modifiant et adaptant les règles d’accessibilité dans le sens favorable aux lobbies du bâtiment. Exemple : refus de l’abaissement de R+4 à R+3 du seuil obligatoire d’installation d’un ascenseur dans les immeubles neufs, alors que 74 200 appartements HLM desservis par ascenseur ont été perdus en cinq ans (voir document ci-joint établi par l’ANPIHM). 

En permettant aux petites communes des se soustraire de toute obligation d’accessibilité, alors qu’il serait possible de mettre en place des mécanismes financiers pour les aider à assumer les travaux nécessaires. 

En élargissant les commissions communales à d’autres « acteurs », ce qui entraînerait de fait une mise en minorité des associations des personnes handicapées dans un domaine qui les concerne prioritairement.

En ne disant rien sur les copropriétés qui pourront continuer à s’opposer aux travaux de mise en accessibilité.

• Et surtout en permettant à l’autorité administrative de suspendre ou de proroger à tout moment les délais pour la réalisation des actions nécessaires à l’accessibilité, ce qui pose le problème de constitutionnalité de ce projet de loi dans la mesure où ce serait permettre à l’autorité administrative de légiférer de fait, et ce bien sûr dans un sens défavorable à l’accessibilité.

L’aveu : « Il faut aller vite » pour empêcher les premières condamnations des contrevenants…

Exagération de notre part ? Procès d’intention ? Lors de la réunion de la Commission des Affaires Sociales du 16 avril, Mme Claire-Lise Campion, a lâché un véritable aveu : 

« Les représentants de l’hôtellerie, de la restauration et du commerce ont pris une part active dans la concertation, affichant leur volontarisme et formulant de nombreuses propositions, même après la fin de la concertation. Les représentants des collectivités ont également été très constructifs. Nous étions à un tournant, car en 2015 les sanctions pénales prévues par la loi de 2005 s’appliqueront et les premières condamnations interviendront ! Il faut aller vite. [Souligné par le CDTHED] Le Gouvernement a choisi de préserver tout le contenu de la loi de 2005 et de chercher des solutions complémentaires pour accompagner les professionnels. Par exemple, la loi impose pour les allées des ERP existants une largeur de 1,40 mètre : cette obligation est maintenue pour les allées principales, non pour les allées secondaires. C’est un détail, mais il est essentiel, car cette norme peut entraîner une perte de chiffre d’affaires, alors qu’un fauteuil électrique passe sans encombre dans une allée un peu moins large. »

Comme le relève à juste titre l’ANPIHM (Association Nationale Pour l’Intégration des Personnes dites Handicapés Moteurs) : « Ainsi, elle reconnaît très clairement que le recours aux Ordonnances s’imposait pour éviter aux exploitants ou propriétaires d’ERP privés ou publics, pour le plus grand nombre resté les bras croisés depuis prés de 10 ans, de se voir assigner en justice par les personnes dites handicapées. À l’évidence, sur le contenu et sur la forme, les intérêts des personnes dites handicapées sont perçus comme subsidiaires par rapport aux intérêts des lobbies de toute nature ! »

C’est pourquoi nous vous demandons, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, d’exiger du Gouvernement qu’il renonce à ce projet de loi dont le contenu va à l’encontre des attentes et des besoins des personnes handicapées et vieillissantes et de leurs familles, et qu’il renonce à procéder par Ordonnances.

Il faut au contraire ouvrir un large débat sur l’ensemble de ces sujets en vue de renforcer et compléter les mesures existantes (y compris les sanctions prévues par la loi) pour satisfaire enfin nos revendications, notamment :

- Le resserrement du calendrier annoncé par le gouvernement (actuellement de trois à neuf ans) pour traduire dans la réalité l’accessibilité annoncée des lieux ouverts au public.

- Le renforcement du contenu de mise en œuvre des Ad’AP, pour l’heure insuffisamment incitatifs, afin d’obtenir à terme une accessibilité réelle des ERP.

- La généralisation de l’accessibilité des transports, y compris les trains, transports inter-urbains et métros anciens.

- L’abaissement du seuil obligatoire d’installation d’un ascenseur dans le cadre bâti d’habitation de R+4 à R+3.

- La généralisation de l’accessibilité à l’ensemble des locaux de travail, ce qui n’a pas été prévu par la loi de 2005.

- Des mesures afin que les copropriétés ne puissent pas s’opposer à l’accessibilité des locaux ouverts au public.

- Des mesures afin que les petites communes ne puissent se soustraire à l’obligation d’accessibilité.

- Des mesures afin que les critères financiers et « prioritaires » ne soient pas des motifs de dérogation.

- Plus généralement le refus de toute mesure d’assouplissement ou d’adaptation qui limiterait l’obligation d’accessibilité prévue par la loi 2005 et l’impossibilité pour l’autorité administrative de suspendre ou de déroger à l’obligation d’accessibilité en dehors des cas strictement limités et prévus par la loi actuelle. 

C’est pourquoi nous vous demandons de voter contre ce projet de loi d’habilitation – seul moyen pour vous d’imposer un véritable débat. 

Nous vous prions d’agréer, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, l’expression de nos sincères salutations.

Pour le CDTHED : Henri Galy

 

Lettre ouverte aux 348 sénateurs en date du 26 avril 2014 (pdf)

Lettre ouverte aux 348 sénateurs en date du 26 avril 2014 (doc)

 

Pièces jointes :

 

Décision de l’assemblée plénière du CNCPH concernant le projet de loi d’habilitation relatif à l’accessibilité, 11 mars 2014.

Communiqué de la Fédération des Aveugles de France en date du 27 février 2014.

« Pièces jointes pour une catastrophe annoncée » - document ANPIHM sur le logement.