Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,

 

Vous êtes invités par le gouvernement à débattre et à voter son « Projet de loi garantissant l’avenir et la justice du sys­tème de retraite », tel qu’il a été adopté par l’Assemblée Nationale le 15 octobre : http://www.senat.fr/leg/pjl13-071.html.

À cette occasion, le CDTHED vous rappelle qu’il n’est pas demandeur d’une « réforme des retraites » qui se traduirait pour l’essentiel par un allon­gement de la durée de cotisation, ce qui va à l’encontre des intérêts des travailleurs, et notamment des plus fragiles d’entre eux, les travailleurs handicapés. Nous demandons au contraire l’adoption de mesures spécifiques per­mettant d’assurer « la réalisation effective du droit des tra­vailleurs handicapés et des parents et conjoints de per­sonnes handicapées dépendantes à une véritable re­traite anticipée, dans des conditions équivalentes à celles des travailleurs qui n’ont pas été frappés par le handicap », ce qui implique notamment les mesures suivantes, énumérées dans notre pétition ayant recueilli, à ce jour, 2737 signatures et le soutien de parlementaires appartenant à divers courants politiques :

« 1°) La reconnaissance du handicap et de son ancienneté doit pouvoir se justifier par tout moyen de forme (carte “station debout pénible”, notification d’invalidité 1ère catégorie, pension militaire d’invalidité, rente pour accident du travail ou maladie profession­nelle, etc.) ou de fond (archives et dossiers médicaux), avec, en cas de doute, examen par une commission indépendante et appel devant une juridiction impartiale.

2°) Les travailleurs handicapés (secteur privé et public) doivent pouvoir partir à la retraite avec une anticipation proportionnelle au nombre d’années d’activité professionnelle exercée en étant handicapés – avec majoration de la pension de base pour les pé­riodes considérées.

3°) Extension du système de cessation anticipée d’activité pour cause de handicap à l’ensemble des régimes complémen­taires obliga­toires, avec majoration de pension – le surcoût pour les caisses relevant de la solidarité nationale.

4°) Extension du droit à la retraite anticipée (secteur privé et public) à tous les conjoints et parents de personnes handicapées dé­pendantes. Extension de ce dispositif aux retraites complémentaires, au titre de la solidarité nationale. 

5°) Concernant les travailleurs handicapés qui ont réussi l’ancien examen donnant droit à un emploi réservé dans la Fonction pu­blique, et qui ont dû attendre des années avant d’être nommés sur un poste adapté à leur handicap, nous demandons la prise en compte de ces années d’attente pour la retraite, en terme de durée de cotisation. »  

 

« OUVRIR DES SOLIDARITÉS NOUVELLES ? »  [Article 23 et suivants]

 

Dans la section « Ouvrir des solidarités nouvelles en faveur 
des assurés handicapés et de leurs aidants », du Projet de Loi qui vous est soumis, l’article 23 est ainsi présenté par le gouvernement :

« Les travailleurs handicapés peuvent liquider leur pension à taux plein dès cinquante-cinq ans s’ils respectent trois conditions cumulatives : justifier d’une durée d’assurance minimale ; justifier d’une durée d’assurance minimale cotisée ; justifier d’un taux d’incapacité permanente de 80 % pendant ces pé­riodes, ou avoir obtenu, pendant ces mêmes périodes, la Re­connaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH).

Ce critère de RQTH, introduit par la loi du 9 novembre 2010, apparaît inadapté dans de nombreuses situations d’assurés qui n’ont pas demandé le bénéfice de la RQTH pendant les pé­riodes où ils travaillaient, alors qu’ils auraient pu en bénéfi­cier. Certains assurés justifiant d’un handicap durable, médi­cale­ment attesté, ou encore d’un handicap congénital, sont ainsi écartés du bénéfice de la mesure en raison de l’absence de RQTH, alors même qu’ils pourraient justifier d’un taux d’incapacité permanente, au sens de la MDPH, antérieur.

Le présent article propose de remplacer, pour le béné­fice de la retraite anticipée des travailleurs handicapés, le cri­tère peu opérant de la RQTH, par le taux d’Incapacité Per­manente (IP) de 50 %[souligné par le CDTHED], afin de prendre en compte l’ensemble des périodes pendant lesquelles l’assuré justifie d’un handicap lourd (50 %) et au titre des­quelles celui-ci ne peut jusqu’ici pas ouvrir droit à la retraite anticipée. » 

 [cf. exposé des motifs en date du 18 septembre.]

Voici le texte de cet article 23 (après adoption par les députés), qui prévoit l’application complète de la suppression du critère RQTH à partir du 1er janvier 2016, après une période transitoire de deux années où les deux critères coexisteront :

 « I. - Au premier alinéa des articles L. 351-1-3 et L. 634-3-3 et au premier alinéa du III des articles L. 643-3 et L. 723-10-1 du code de la sécurité sociale et au premier alinéa de l’article L. 732-18-2 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « au moins égale à un taux fixé par décret ou qu’ils bénéficiaient de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé mentionnée à l’article L. 5213-1 du code du travail » sont remplacés par les mots : « d’au moins 50 % ».

II. - Au 5° du I de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite,les mots : « 80 % ou qu’ils avaient la qualité de travailleur handicapé au sens de l’article L. 5213-1 du code du travail » sont remplacés par le taux : « 50 % ».

II bis (nouveau). - Pour les périodes antérieures au 31 décembre 2015, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, au sens de l’article L. 5213-1 du code du travail, est prise en compte pour l’appréciation des conditions mentionnées aux articles L. 351-1-3 et L.634-3-3, au III de l’article L. 643-3 et à l’article L. 723-10-1 du code de la sécurité sociale, au 5° du I de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ainsi qu’à l’article L. 732-18-2 du code rural et de la pêche maritime.

III. - Le présent article est applicable aux pensions prenant effet à compter du 1er janvier 2014.

IV (nouveau). - Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport permettant d’explorer la mise en place d’un compte handicap travail. » 

 

UN VÉRITABLE TOUR DE PASSE-PASSE…

 

S’il est vrai que de nombreux travailleurs handicapés n’ont pas demandé autrefois la RQTH alors que leur handicap l’aurait parfaitement justifié, il faut savoir que beaucoup de tra­vailleurs handicapés n’ont pas non plus demandé l’attribution d’un taux d’incapacité permanente en temps utile : ils ne peu­vent donc pas prouver une IP de 50 %. Il faut savoir aussi que la plupart des handicapés qui demandaient l’attribution d’un taux d’incapacité aux COTOREP d’avant 2005 se voyaient attribuer soit la Carte d’invalidité (IP de 80 % ou plus), soit l’ancienne « Carte station debout pénible » avec un taux d’IP de 40 % et non pas 50 %...

Mais le pire, c’est la situation des travailleurs handicapés qui ne peuvent pas justifier de ce taux d’incapacité sur une durée suffisante (126 trimestres, soit 31,5 ans dans le cas général !) alors qu’ils ont demandé et obtenu dès le début la RQTH et son renouvellement périodique et qui, de ce fait, peuvent demander ces prochaines années à bénéficier de la retraite anticipée pour handicap avec majoration de la pension de retraite de base dans le cadre de la réglementation actuelle… Avec la nouvelle loi, ils perdraient ce droit acquis ! En effet, un travailleur handicapé peut très bien obtenir la RQTH sans demander l’attribution d’un taux d’incapacité. Par ailleurs, le seuil de 50 % d’IP est de plus en plus difficile à obtenir, donc restrictif. Enfin, les jeunes handicapés qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail sont complètement sacrifiés…

 [Voir notre Argumentaire ci-joint pour plus de détails sur les différentes situations.]

En toute logique, au lieu de remplacer un critère par un autre, il conviendrait d’offrir des possibilités supplémentaires pour justifier l’ancienneté du handicap, ainsi que le revendiquent les intéressés, et avec eux le CDTHED !

Signalons au passage que la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale a fait adopter, à la fin de l’article 23, l’alinéa suivant : 

 « IV (nouveau). Le Gouvernement remet au Parlement dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi un rapport permettant d’explorer la mise en place d’un compte handicap travail. ». 

Nous attirons votre attention sur le fait que cet amendement n’apporte aucune solution à ces problèmes, ni à court terme ni à long terme… Il est clair en particulier que ce très hypothétique « compte handicap travail » ne saurait remplacer les dispositions actuelles qui permettent aux titulaires de la RQTH d’espérer bénéficier un jour d’une retraite anticipée dès 55 ans, avec majoration d’un tiers de la pension de base ! Bien au contraire, cet amendement ne sert que d’alibi à la suppression définitive de leurs droits. 

 

… ET UNE CONTRE-VÉRITÉ FLAGRANTE !

 

Le 2 octobre, la Ministre des Affaires sociales, Mme Marisol Touraine a soutenu, toujours devant la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale, que la prise en compte existant actuellement de la RQTH pour la retraite anticipée des travailleurs handicapés constitue un « mécanisme d’aide sociale »… Or, c’est exactement le contraire de la réalité : à la différence du taux d’incapacité (qu’il soit de 50 ou 80 %), la RQTH ne peut donner droit à aucune allocation ou prestation sociale.

Par contre, la RQTH atteste que, pour l’intéressé, « les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique » (voir article L. 5213-1 du Code du Travail définissant la qualité de travailleur handicapé). Il en résulte que le titulaire de la RQTH est exposé à une usure prématurée de son organisme, du fait de son handicap, ce qui légitime parfaitement son droit à une retraite anticipée pour handicap, à taux plein et avec une majoration de pension pour compenser les annuités manquantes.

En d’autres termes, supprimer le droit à la retraite anticipée pour les titulaires de la RQTH reviendrait à prétendre que les travailleurs handicapés reconnus officiellement comme tels en application du Code du travail ne sont pas handicapés au travail ! 

 

UNE MESURE REJETÉE PAR L’ENSEMBLE DU MONDE ASSOCIATIF

 

Parmi de nombreuses réactions allant dans le même sens que la nôtre, nous nous contenterons de vous faire part de deux prises de position, d’origine très différente, mais d’importance nationale.

Ainsi, le journal Le Monde a publié le 8 octobre une tribune libre intitulée « Handicapés et malades, les oubliés de la réforme », co-signé par six associations nationales dont voici les extraits les plus significatifs : 

 « Nous, personnes vivant avec une maladie chronique, accidentées de la vie ou en situation de handicap, sommes une nouvelle fois absents des débats (...) L’allongement de la vie au travail, c’est pour nous la prolongation de la difficulté à concilier vie professionnelle et état de santé (...) La pénibilité du travail est certes prise en compte dans ce projet, sous l’angle des conditions de travail et de l’exposition à des facteurs de risques professionnels, mais les pénibilités induites par notre état de santé ne sont pas considérées. Ces difficultés liées au travail avec une maladie ou un handicap, trouvent comme point d’orgue le passage à la retraite, quand la pension, si réduite par des parcours professionnels en dents de scie, nous fait encore payer le prix fort, le prix de notre maladie, de notre handicap.

DOUBLE PEINE (...) Nous avons assisté à la construction d’un système qui, en lui-même, posait les bases d’une injustice profonde à notre égard : une retraite calculée sur un salaire de référence des 25 meilleures années, un nombre élevé de trimestres cotisés, un recul de l’âge de départ en retraite, facteurs structurellement inadaptés aux personnes vivant avec une maladie chronique ou un handicap.

 (....) Enfin, nous mettons en garde le gouvernement contre la stratégie de bricolage qui consisterait à résoudre une injustice en en créant une autre. La volonté d’abaisser le taux d’incapacité de 80 % à 50 % pour permettre un départ anticipé est une très bonne initiative, qui mettra fin à des situations aussi absurdes qu’injustes. Mais cela ne peut se faire en écartant les personnes reconnues en qualité de travailleur handicapé (RQTH) de l’accès à ce dispositif. »

 http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/10/08/handicapes-et-malades-les-oublies-de-la-reforme_3492072_3232.html

L’Union Nationale des Entreprises Adaptées (UNEA) qui rassemble et fédère plus de 60 % des Entreprises Adaptées se félicite certes de l’abaissement du taux d’incapacité à 50 % pour une retraite anticipée, mais refuse d’accepter la suppression de la condition d’ouverture des droits pour les personnes bénéficiaires de la RQTH, en précisant le 17 octobre :

 « Ce recul va exclure demain des possibilités d’un juste départ en retraite pour les salariés handicapés d’Entreprises adaptées. De son côté, le gel du budget 2014, tant au niveau du volume des emplois créés que du montant de la subvention spécifique, est un véritable message négatif pour le secteur et les dirigeants des EA qui se mobilisent quotidiennement pour chercher des solutions à la progression inexorable du taux de chômage des personnes en situation de handicap. »

http://informations.handicap.fr/art-infos-handicap-2013-853-6386.php

  

QUELLES SONT NOS REVENDICATIONS ? 

 

Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,

Au tour de passe-passe gouvernemental, nous opposons, entre autres revendications, les exigences suivantes : 

- La reconnaissance du handicap et de son ancienneté doit pouvoir continuer à être justifiée, comme c’est déjà le cas, par la Carte d’invalidité ou un avantage analogue, ainsi que par la RQTH.

- À ces possibilités, doivent s’ajouter tous les moyens de forme ou de fond permettant à l’intéressé de justi­fier de son handicap (Carte « station debout pénible » ou IP de 40 %, notification d’invalidité 1ère catégorie, pen­sion militaire d’invalidité, rente pour accident du travail ou maladie pro­fession­nelle, etc.), y compris archives et dossiers médi­caux, avec, en cas de doute, examen par une commis­sion indépendante et appel devant une juri­diction impartiale.

Nous sommes assaillis d’appels téléphoniques et de messages de travailleurs handicapés, jeunes ou moins jeunes, qui nous font part de leur stupéfaction et de leur désarroi, voire de leur colère… Au moment de discuter et de voter le Projet de Loi qui vous est soumis par le Gouvernement, vous devez prendre en compte ce désarroi et cette colère, par vos votes et vos prises de position !

Enfin, nous nous permettons de vous suggérer de rédiger et de déposer une Proposition de Loi qui aille véritablement dans le sens des revendications des travailleurs handicapés et des parents et conjoints de personnes handicapées dépendantes. 

Nous nous tenons à votre disposition pour répondre à vos questions, et nous vous remercions par avance de nous tenir au courant des suites que vous donnerez à notre démarche, afin que nous puissions en informer les intéressés.

 

Dans l’attente, nous vous prions d’agréer, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, l’expression de nos sincères salutations.

Pour les signataires de la pétition, le Président du CDTHED : Henri Galy 

 

Pièces jointes :

- Argumentaire « sur les critères de handicap pour la retraite anticipée avec majoration de pension : RQTH, taux d’IP, et autres justificatifs légitimes »

- Pétition « Pour le Droit des travailleurs handicapés et des parents et con­joints de personnes handicapées dépendantes à une véri­table retraite anticipée ».

 

Lettre ouverte aux 348 sénateurs en date du 22 octobre 2013 (pdf)

Lettre ouverte aux 348 sénateurs en date du 22 octobre 2013 (doc)

Argumentaire complémentaire à la lettre du 22 octobre 2013 (pdf)

Argumentaire complémentaire à la lettre du 22 octobre 2013 (doc)

 

Pétition et argumentaire