La chicane : une barrière sélective

Dans la famille des chicanes, on trouve des mo­dèles de toutes sortes. Il y en a des fixes, les croix de Saint-André par exemple, et des mobiles comme les U oscillants. Le but affiché est identique : interdire l’accès aux voitures, quads, motos, scooters. Le piéton, lui, peut franchir la chicane, mais son chemi­nement est ralenti. Lorsque la chicane est fixe, il devra slalomer entre les obstacles de ce nouveau passage en zigzag. Si la chicane est mobile, il tirera à lui la barrière, s’engagera dans le tourniquet, puis en sortira en poussant le portillon. Le passant sportif ou facétieux s’amusera de ce nouveau terrain de jeu : escalade, balançoire, cheval d’arçons, chat per­ché, cochon pendu, etc. En revanche, la nounou poussant landau, la ménagère encombrée d’emplettes, le vio­loncelliste et son instrument, le cycliste sur sa bécane, le déménageur du dimanche, bref tout quidam gêné dans sa mobilité, pestera et, autant que possible, changera d’itinéraire.

Mais, puisqu’après tout, il s’agit d’évincer les vé­hicules dangereux, bruyants et polluants pour rendre l’espace aux promeneurs et aux enfants, la chicane apparaît souvent comme un moindre mal. En cas de nécessité absolue - le feu, une inondation, un glis­sement de terrain, une émeute, la guerre - une clé permet d’ouvrir en grand le passage, laissant la voie libre aux véhicules de secours et d’entretien.

La chicane joue donc un rôle de barrière sélective pour réduire les nuisances provoquées par les 2 (ou 4) roues motorisés. Oui, mais voilà, cette nasse chargée de stopper le gros calibre, piège aussi un petit véhicule bien inoffensif : le fauteuil roulant…

Le fauteuil roulant : que dit le Code de la Route ?

Du moment que sa vitesse n’excède pas les 6 km/heure, l’utilisateur d’un fauteuil roulant, manuel ou électrique, est considéré comme un piéton. À ce titre, la loi le reconnaît donc comme le plus faible des usagers de la route et le soutient contre le plus fort, l’automobiliste, accusé d’amener l’objet dange­reux, la voiture, dans l’espace public. Lorsque le trottoir ou l’accotement n’est pas « normalement » praticable, il peut en toute légalité circuler sur la chaussée et par extension sur les bandes cyclables en principe réservées aux cyclistes. Il doit traverser la chaussée en empruntant un passage piéton, lorsqu’il y en a un à moins de 50 mètres et l’automobiliste est alors tenu de lui céder le passage.

Dans la pratique, l’utilisateur de fauteuil est bien plus vulnérable que le piéton valide. Certes, ils par­tagent les mêmes obligations légales, sous peine d’amende (dans les textes) ou plus simplement s’ils veulent rester en vie : ne pas se jeter inconsidéré­ment devant les voitures, tenir compte de la visibi­lité ainsi que de la vitesse et de la distance des véhi­cules, se déplacer (sauf impossibilité flagrante) sur le trottoir, le bas côté, le passage piéton. En revan­che, au chapitre des avantages, le piéton gagne haut la main. Il chemine plus longtemps à l’abri, en clair hors de la chaussée, car il peut prestement : se fau­filer, contourner l’obstacle (poteau, poubelle, écha­faudage, travaux, voiture mal garée, attroupement), éviter les trous, franchir les bosses et les dévers, descendre et remonter vite - vite de n’importe quel endroit du trottoir, ignorer les débris de verre, chan­ger à volonté de côté, monter des marches, enjamber des murets, couper à travers les pelouses, etc. L’utilisateur de fauteuil roulant prend de plein fouet toutes les embûches et de plus, comme il avance assis, sa visibilité est réduite. Il lui arrive souvent de ne pas pouvoir du tout esquiver l’obstacle. Au mieux, il fait alors demi-tour et cherche un autre itinéraire en marge de la circulation routière. Au pire, il prend le risque de partager, avec l’automobiliste, le motard et le cycliste, le seul en­droit plan carrossable : le milieu de la chaussée.

La personne en fauteuil roulant qui se déplacerait à plus de 6 km/heure serait dans la situation d’un cycliste. Le cas est assez improbable en ville. Toutefois, le législateur y a pensé et lui impose alors, comme aux vélos, de circuler hors du trottoir, autrement dit sur la chaussée ou sur une voie réser­vée, en respectant les règles du Code de la Route. Pour la circulation de nuit, il paraît logique de pré­voir un équipement de type bicyclette : feux avant et arrière, en plus des catadioptres montés d’origine. Là encore, dans la pratique, le fauteuil roulant est exposé à davantage de risques que le vélo. Il est moins maniable, moins réactif, moins rapide, plus encombrant. Surtout, il fait corps avec son conduc­teur. Impossible pour la personne handicapée, de descendre de sa bécane en cas de crevaison, d’ennui mécanique ou d’obstacle infranchissable, de planter là son engin ou encore de le porter à bout de bras pour continuer, à pied, son chemin. 

Qu’il soit perçu comme un piéton ou comme un cycliste, le promeneur en fauteuil roulant prend très souvent de gros risques. Il rencontre dans chacun de ses déplacements un lot impressionnant de dangers et de tracasseries. Il est donc obligé de sélectionner un certain nombre d’itinéraires lui permettant, non pas d’aller au plus court, mais d’éviter les pièges (trottoir impraticable, bateau casse-gueule, intersec­tion mortelle, dévers important…). À ces embûches dûment répertoriées par l’expérience, s’ajoutent les mauvaises surprises du jour. Il est donc primordial que la politique urbaine d’accessibilité soit cohé­rente.