Courriel de Monsieur Michel Issindou, Député (PS) de l'Isère, en date du 19 juin 2014 :

 

Monsieur le président,

J'ai bien pris connaissance de votre communiqué relatif au récent vote à l'assemblée Nationale du "Projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées" et je vous en remercie.

Comme vous le savez, ce projet de loi vise à remédier, dans une approche réaliste, aux échecs de la loi du 11 février 2005.

Il entend répondre aux demandes de nombreuses collectivités et commerces durement frappés par la crise dont les équilibres financiers pourraient se trouver déraisonnablement mis en danger par l'obligation de financer des travaux d'accessibilité d'ici à 2015. 

La contrainte économique rendant irréaliste l'achèvement de l'accessibilité dans ce délai, le texte prévoit, à destination de ceux des acteurs publics ou privés dont la situation le justifie, une dérogation ou un allongement de l'agenda pour achever leurs travaux de mise en conformité.

Mais ce texte ne se contente pas d'assouplir la contrainte pesant sur ces acteurs. Il innove en ce qu'il vient créer les outils nécessaires à la réalisation effective des travaux.

Ces outils peuvent être classés en 2 catégories : la simplification réglementaire, qui doit permettre l'identification de solutions crédibles et adaptées aux besoins de tous et la création d'un "agenda d'accessibilité programmée", dispositif par lequel les propriétaires ou gestionnaires d'établissements recevant du public s'engageront sur un échéancier des travaux de réalisation de l'accessibilité.

En espérant que ces quelques éléments d'explications vous rassureront quant aux intentions de la majorité sur ce sujet, je vous prie de croire, Monsieur le président, en l'assurance de mes salutations les meilleures.

 

Réponse du CDTHED, le 25 juin :

 

Monsieur le Député,

Comme vous le dites vous-même, le Projet de Loi d’habilitation des ordonnances en question a pour but premier d’« assouplir la contrainte » pour « répondre » à des demandes d’ordre économique des collectivités et commerces « durement frappés par la crise ».

Sur ce point, nous sommes d’accord avec vous : ce projet de loi est bien dicté par les lobbies, comme l’ont dénoncé à juste titre les participants au rassemblement national du 13 mai et les 225 000 signataires de la pétition « Accessibilité : la liberté d’aller et de venir ne peut pas attendre 10 ans de plus ! ». Il ne répond pas aux besoins des 11 millions de personnes (selon l’INSEE) atteintes d’une ou plusieurs incapacités

Nous tenons quand même à vous rappeler qu’il ne s’agit dans ce Projet que d’économie à très courte vue qui ignore totalement le coût social énorme de la non-accessibilité, qui n’a jamais été pris en compte par le Gouvernement… Parmi une multitude d’exemples, prenons celui-ci : de nombreuses personnes vieillissantes ne peuvent plus occuper leur appartement ou leur maison, et sont obligées d’entrer de manière prématurée en maison de retraite, sans parler des chutes dans l’escalier.            

Concernant les prétendues « innovations » dont vous parlez, l’ordonnance visant à tailler en pièces l’accessibilité est déjà écrite… Vous trouverez ci-joint l’avant-projet du 19 juin transmis aux associations (consultées pour pure forme puisque leur avis n’a jamais été écouté), qui n’attend plus que le vote d’habilitation de l’Assemblée Nationale dont vous êtes membre pour être promulgué.

Sans avoir le temps d’en faire une analyse complète, une rapide lecture permet de dégager les conséquences suivantes : 

- Allongement des délais de 3, 6 ou 9 ans – en réalité jusqu’à 10 ans, voir Article L. 111-7-3 modifié (page 2) – au moyen d’Agendas d’Accessibilité Programmée (Ad'Ap) renouvelables, selon une procédure d’avis réputé favorable pour la plupart des Établissements Recevant du Public (ERP), sans sanction automatique en cas d’inexécution. 

- Possibilité d’échapper à l’obligation d’accessibilité en invoquant la situation financière de l’établissement, sans que les aides et la capacité d’investissement soient prises en compte – voir Article L. 111-7-3 modifié (pages 2 et 3) et Article L. 111-7-7 nouveau (page 6).

- Suppression de fait de la sanction pénale en cas de non-respect des règles d’accessibilité grâce aux multiples motifs de dérogation – voir Article L. 152-4 modifié (pages 11-12).

- Les cabinets des professions libérales et les magasins installés dans des copropriétés seront de facto exonérés de mise en accessibilité – voir Article L. 111-7-3 modifié (page 2).

- Un ERP existant, inaccessible, pourra être agrandi sans obligation de mise en accessibilité. 

- L’avis conforme de la Commission Consultative Départementale de Sécurité et d’Accessibilité (CCDSA) est supprimé pour la plupart des demandes de dérogations – voir Article L. 111-7-3 modifié (pages 2-3). 

- Dans les transports, la mise en accessibilité des points d’arrêts est réservée à ceux estimés « prioritaires », – voir Article L. 1112-1 modifié (page 19) – et pour les autres un éventuel service de substitution est renvoyé à 2018 au moins 

Etc. 

Nous ne sommes donc pas du tout « rassurés », d’autant que nous n’avons pas oublié le sombre épisode de la loi sur les retraites où, avec une petite majorité de vos collègues vous avez voté la suppression du droit à la retraite anticipée pour l’immense majorité des travailleurs handicapés – ce qui a suscité l’indignation générale et oté tout espoir de faire valoir leurs droits à un grand nombre de ces travailleurs (17 cas recensés en ne comptant que les seuls adhérents du CDTHED…).

La seule chose qui pourrait nous rassurer, ce serait un engagement clair de votre part à prendre en compte les attentes des personnes handicapées ou vieillissantes en votant contre le Projet de Loi ! 

Veuillez agréer, Monsieur le Député, nos salutations, ainsi que notre résolution à poursuivre le combat contre ce texte, ainsi que contre la « réforme » des retraites. 

Pour le CDTHED : Henri Galy

PS : Nous publions notre échange sur notre site internet.

 

Compléments d'informations

 

Nous remercions l'ANPIHM (Association Nationale Pour l'Intégration des Personnes dites Handicapés Moteurs) et Yanous qui ont bien voulu nous communiquer les documents utiles ainsi que leurs premiers commentaires.

Communiqué ANPIHM du 23 juin 2014

L'accessibilité mise en pièces, Éditorial de Laurent Lejard du 20 juin 2014

Texte du Projet de Loi issu de la Commission Mixte Paritaire des sénateurs et des députés

Projet d'ordonnance, version à la date du 19 juin 2014

Projet de décret relatif à l’agenda programmée d’accessibilité pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public

Projet de décret relatif au schéma directeur d’accessibilité - agenda programmée d’accessibilité